
LE REGARD DE MALIKA MEZLOY-DESTRACQUE, PSYCHOLOGUE
Service d’oncologie pédiatrique - CHU de Nancy – Hôpital d’enfants
«(...) ce n’est pas parce qu’elle avait été amputée de la jambe qu’elle allait arrêter d’être une enfant.»
Plus fort que l’adversité
Le témoignage touchant d’Elise me fait penser à une patiente amputée à l’âge de 5 ans que j’ai accompagnée. Elle est d’une résilience phénoménale. Elle a décidé que ce n’est pas parce qu’elle avait été amputée de la jambe qu’elle allait arrêter d’être une enfant. Puis elle est devenue infirmière, elle conduit. Cet amour de la vie, on parle de « pulsion de vie », vient signifier que la vie est plus forte que l’adversité. Ce n’est pas parce qu’elle est amputée de sa jambe qu’elle est amputée de toute sa vie.
L’adolescence en elle-même est une phase du développement délicate. Il faut trouver ses repères, qui on est, qui on veut être dans une société donnée et quand effectivement cette étape de la vie vient être complexifiée par le cancer et ses séquelles, c’est encore plus violent. Cela contraint l’adolescent à un travail de réaménagement psychique important. Nous savons bien que ce travail de guérison psychique peut prendre plus de temps que la guérison somatique. Cette temporalité ne se maitrise pas. Tout comme la parole ne se prescrit pas au prétexte d’aller mieux. Parler peut aussi fragiliser. Lorsque l’adolescent est prêt à élaborer ce temps de vie il sollicite plus ou moins directement son entourage, sa famille, ses pair(e)s, l’équipe soignante, psychologue compris. D’où l’importance de garder le lien, de faire preuve de patience.
Il faut être attentif au regard que chacun des patients va porter sur sa propre histoire et comment il va parvenir à intégrer la maladie comme une étape dans son parcours de vie qui ne conditionnera pas nécessairement tout le reste. Les patients nous le disent : « je ne suis pas réductible au cancer ! ». Cela suppose entre autre de sortir de la question redoutable du « pourquoi moi ! » qui peut entraver, figer parce qu’elle n’a pas de réponse dans la grande majorité des cas.
Être en paix avec son propre corps, avoir une relation pacifiée avec lui, c’est ce qui va aider l’enfant ou l’adolescent à se protéger du regard des autres qui peut parfois être déstabilisant, intrusif.
Nous avons pu observer que ce travail psychique n’est pas directement lié à l’importance des séquelles. Un patient amputé peut développer de belles ressources adaptatives alors qu’un autre patient voudra à tout prix faire disparaitre la cicatrice laissée par la chambre implantable. Cicatrice vécue comme un stigmate insupportable de la maladie. On voit bien que chaque patient essaie de faire avec ce vécu-là, tâcher de continuer de donner du sens à sa vie et de l’aimer malgré tout.